ÉPIDÉMIOLOGIE

ÉPIDÉMIOLOGIE
ÉPIDÉMIOLOGIE

La première définition de l’épidémiologie donnée par le Littré au milieu du XIXe siècle est toujours celle qu’on retrouve dans les dictionnaires aujourd’hui: «Recherche sur les causes et les natures des épidémies», l’épidémie étant elle-même définie comme une atteinte simultanée d’un grand nombre d’individus d’un pays ou d’une région par une maladie transmissible.

En réalité, aujourd’hui, le champ de l’épidémiologie s’est beaucoup élargi et les nombreuses définitions proposées sont toutes plus conformes à l’étymologie (epi-dêmos : «sur le peuple», «frappant tout le peuple»). Celle de Milos Jenicek et Robert Cléroux mérite d’être retenue: «L’épidémiologie est un raisonnement et une méthode propres au travail objectif en médecine et dans d’autres sciences de la santé, appliqués à la description des phénomènes de santé, à l’explication de leur étiologie et à la recherche des méthodes d’intervention les plus efficaces.»

L’essor de l’épidémiologie moderne trouve son explication dans le fait que, pour la santé publique, la prévention est devenue prioritaire, tant dans le domaine des maladies transmissibles que dans celui des maladies non transmissibles (affections néoplasiques et cardio-vasculaires, troubles du comportement, etc.).

L’épidémiologie descriptive et l’épidémiologie analytique

La définition proposée regroupe les deux aspects maintenant classiques de l’épidémiologie:

– la description des phénomènes de santé correspond à l’épidémiologie descriptive ;

– l’analyse causale correspond à l’épidémiologie analytique .

Ces deux aspects sont complémentaires. En effet, si l’épidémiologie analytique tire sa finalité dans la recherche étiologique permettant ensuite de définir les grands axes de la prévention, elle ne peut se passer des informations données par l’épidémiologie descriptive, qui, seule, permet d’appréhender l’importance numérique du phénomène morbide étudié.

Que ce soit en épidémiologie descriptive ou en épidémiologie analytique, l’enquête représente l’outil méthodologique de choix.

L’épidémiologie descriptive a pour but d’étudier la répartition des phénomènes morbides dans les populations et leur variation dans le temps, grâce à une quantification qui utilise les statistiques (dénombrement des cas présentés sous forme de tableaux, d’histogrammes et de courbes) et qui s’impose, non seulement pour mettre en place une politique de santé cohérente après détermination des priorités, mais aussi pour juger des résultats de cette politique.

Le fondement de l’épidémiologie descriptive est donc le recueil des informations , soit passif (statistiques de mortalité et de morbidité), soit actif, au cours d’enquêtes exhaustives systématiques qui donnent une appréciation plus réelle du phénomène morbide étudié en incluant les sujets qui consultent et ceux qui ne consultent pas. Mais ces enquêtes sont souvent irréalisables en dehors d’un groupe de population bien identifié et pas trop nombreux. Plus communément, l’information est recueillie au cours d’enquêtes par sondage utilisant les lois de la statistique probabilistique. Les enquêtes sont alors effectuées sur des échantillons limités, mais représentatifs, de la population interrogée.

Les informations recueillies, soit passivement, soit activement, sont ensuite traitées en s’aidant de l’informatique. Si l’enquête est réalisée une seule fois, elle permet de calculer la prévalence de l’affection étudiée (mesure de la fréquence de la maladie dans une population à un moment donné). Si elle est répétée à intervalles réguliers dans une période donnée (l’année par exemple), elle permet de calculer l’incidence (mesure de la fréquence de survenue de cas nouveaux de la maladie dans la population étudiée).

L’épidémiologie analytique a pour but de formuler des hypothèses sur l’étiologie et les facteurs de risque des maladies. Son domaine est essentiellement celui des maladies non transmissibles car, pour l’immense majorité des maladies transmissibles, la chaîne épidémiologique est bien connue, depuis l’agent pathogène et son réservoir jusqu’au sujet réceptif.

Les enquêtes sont soit prospectives, soit rétrospectives. L’enquête prospective permet de suivre les sujets depuis l’exposition aux facteurs de risque jusqu’à la survenue éventuelle de la maladie. Elle comparera alors le devenir de ces sujets à celui d’une population témoin non exposée. La première étude de ce genre a été appliquée aux risques liés au tabagisme. L’enquête rétrospective commence, après que le diagnostic de la maladie a été posé, en recherchant si l’exposition au facteur de risque étudié a eu lieu. Puis les résultats seront comparés à une population non malade soumise au même risque. Ce type d’enquête, plus court et plus simple, donne des conclusions moins fiables car les deux groupes de sujets sont obligatoirement assez peu comparables. Il est cependant très utilisé en épidémiologie cancérologique.

Pathologies non transmissibles

Une étude épidémiologique difficile illustre bien la complexité du problème. Elle porte sur l’intervention éventuelle d’un «facteur eau» dans l’étiologie de cette maladie plurifactorielle qu’est l’athérosclérose, qui combine l’athérome (infiltration graisseuse des parois artérielles) et la sclérose vasculaire.

En 1957, l’attention a été attirée sur le rôle de l’eau par un Japonais, Kobayashi, qui découvre une relation directe entre les hémorragies cérébrales (souvent dues à l’athérosclérose) et l’acidité des eaux apportées par les conduites d’adduction urbaine. Aux États-Unis, l’enquête se révèle d’emblée difficile, car les eaux sont traitées par addition de soude et d’acide carbonique. Si bien qu’en 1959 H. A. Schrœder s’oriente vers la teneur de l’eau en bicarbonate de calcium, c’est-à-dire sa dureté, et montre qu’elle est en corrélation inverse avec les maladies cardiovasculaires, et notamment accidents vasculaires cérébraux et maladie coronarienne. En Angleterre, ce dernier fait est confirmé, cependant qu’en Suède on relève une corrélation négative entre la teneur en calcium des eaux et les maladies cardiaques dégénératives non coronariennes.

Ce faisceau de données en partie divergentes devait néanmoins mettre H. A. Schrœder sur la bonne piste: seule l’eau «dure» calcaire n’entame pas les canalisations et le facteur toxique doit provenir d’une substance mise en liberté par les tuyaux d’adduction. C’est alors que T. W. Anderson remarque au Canada que l’effet «eau» n’augmente pas la mortalité globale par maladies ischémiques, mais seulement les morts soudaines. Cette remarque permit à H. A. Schrœder de montrer, en 1969, avec Kanisada, que le facteur responsable de cet accroissement de la mortalité brusque était le cadmium, associé au zinc dans les tuyaux d’adduction en fer galvanisé.

Les maladies infectieuses et l’épidémiologie

L’évolution des concepts jumelés d’épidémie et d’épidémiologie appelle deux remarques.

En premier lieu, il faut relever qu’un certain nombre d’imprécisions, voire de contradictions, pèsent sur la terminologie en matière d’épidémiologie. Nous avons vu ce qu’il en est à propos du mot d’épidémie: dès lors qu’il déborde sur des phénomènes morbides collectifs non obligatoirement infectieux, il devient trop vaste et trop imprécis. C’est pourquoi M. Baltazard a proposé de n’appliquer ce mot qu’aux seules affections contagieuses (multiplication de cas par contagion interhumaine) couvrant tous les phénomènes «transmissibles» et de créer le terme d’anadémie pour les affections non contagieuses frappant pourtant un certain nombre de personnes par simple addition de cas sporadiques, c’est-à-dire isolés; par exemple, les épisodes humains des maladies animales transmissibles à l’homme (anthropozoonoses) sont de nature anadémique en l’absence de possibilité de contagion interhumaine, de même que les maladies par carence ou les maladies dégénératives chroniques.

Notons aussi que le mot «contagion» du latin contingere , toucher, ne concerne pour certains que la transmission d’une maladie infectieuse par contact direct avec un malade ou indirect par l’intermédiaire de sécrétion, objets ou personnes touchés par ce malade, alors que pour d’autres le sens en est étendu à la transmission de maladies par l’intermédiaire de vecteurs tels que certains insectes.

En second lieu, en admettant qu’il soit parfaitement correct de parler, comme on le fait actuellement, d’épidémiologie du suicide, de l’athérosclérose ou des accidents de la route aussi bien que de celle de la syphilis ou de la grippe, il faut bien reconnaître que nos connaissances sont incontestablement plus avancées dans le domaine des maladies infectieuses que dans celui des autres phénomènes morbides. Dans l’étude de la genèse de l’athérosclérose, par exemple, on a prouvé l’action conjuguée de facteurs prédisposants tels qu’obésité, sédentarité, hypertension artérielle, alimentation hyperlipidique, etc. Dans celle des accidents de la route, on ne sait pas très bien quelle importance relative accorder à l’état du véhicule, à celui de la route et enfin à la condition physique et psychique du conducteur.

Au contraire, l’épidémiologie des maladies infectieuses fournit des bases très assurées aussi bien dans l’individualisation de plus en plus poussée des agents pathogènes que dans la reproduction expérimentale de la maladie par inoculation aux espèces animales sensibles [cf. INFECTION].

Pour ce qui concerne les maladies dont la transmission est assurée par un vecteur, c’est-à-dire un organisme vivant qui permet le passage du sujet malade au sujet sain, la méthodologie écologique permet de recenser et de hiérarchiser les facteurs vivants et non vivants du milieu, qui jouent un rôle dans le maintien des foyers naturels de l’affection. L’épidémiologie écologique est une intégration pluridisciplinaire qui permet de reconnaître les points faibles dans une chaîne épidémiologique et donc de mettre en œuvre une prophylaxie réellement efficace au moindre coût.

Une des tâches principales de l’épidémiologie actuelle est ainsi d’apprendre à l’homme d’abord à connaître son environnement, puis à vivre en bonne intelligence avec lui.

épidémiologie [ epidemjɔlɔʒi ] n. f.
• 1855; de épidémie et -logie
Didact. Étude des rapports existant entre les maladies ou tout autre phénomène biologique, et divers facteurs (mode de vie, milieu ambiant ou social, particularités individuelles) susceptibles d'exercer une influence sur leur fréquence, leur distribution, leur évolution. Épidémiologie des suicides. Spécialiste de l'épidémiologie (ou ÉPIDÉMIOLOGISTE n. ).

épidémiologie nom féminin Science qui étudie, au sein de populations (humaines, animales, voire végétales), la fréquence et la répartition des problèmes de santé dans le temps et dans l'espace, ainsi que le rôle des facteurs qui les déterminent.

épidémiologie
n. f. MED étude des différents facteurs qui conditionnent l'apparition, la fréquence, la répartition et l'évolution des maladies et des phénomènes morbides. épidémiologie de la variole, du cancer, du suicide.

⇒ÉPIDÉMIOLOGIE, subst. fém.
Étude des maladies épidémiques, de leur mode de contagion et des moyens de les combattre. L'épidémiologie de la fièvre jaune a été étudiée (...) au cours d'une mission de l'Institut Pasteur au Brésil (...) qui permit d'acquérir maintes données fécondes en matière de prophylaxie antiamarile (Ce que la Fr. a apporté à la méd., 1946, p. 59). On observe scrupuleusement les règles d'épidémiologie scolaire; isolement des suspects, prélèvements et analyses chez tous les sujets au contact des suspects, déclaration immédiate à l'autorité sanitaire, exécution des désinfections requises (Encyclop. éduc., 1960, p. 129).
P. ext. Discipline qui a pour objet l'influence de divers facteurs (constitution individuelle, environnement, mode de vie, milieu social) sur les maladies, notamment sur leur fréquence, distribution et étiologie, ainsi que sur tout autre phénomène biologique ou social déterminé. L'épidémiologie des accidents, des divorces ou des suicides (Méd. Biol. t. 2 1971).
Rem. 1. ,,En médecine vétérinaire on devrait plutôt parler d'épizootiologie puisqu'il s'agit d'épizooties`` (VILLEMIN 1975). 2. On rencontre ds la docum. l'adj. épidémiologique. Qui a rapport à l'épidémiologie, aux épidémies (cf. épidémique ex.). Une vieille notion épidémiologique, confirmée tout récemment par des recherches expérimentales sur l'interféron (...), reflète d'ailleurs la concurrence que ceux-ci [ces « bactériphages »] se livrent dans l'organisme, notamment dans les tissus, la place restant en quelque sorte au premier occupant (BARIÉTY, COURY, Hist. méd., 1963, p. 720).
Prononc. :[]. Étymol. et Hist. 1855 (NYSTEN). Composé du subst. épidémie et du suff. -logie.

épidémiologie [epidemjɔlɔʒi] n. f.
ÉTYM. 1855, Nysten; de épidémie, et -logie.
Didactique.
1 Étude des épidémies.
2 Mod. Étude des rapports existant entre les maladies et divers facteurs (mode de vie, milieu ambiant ou social, particularités individuelles) susceptibles d'exercer une influence sur leur fréquence, leur distribution, leur évolution.
DÉR. Épidémiologique, épidémiologiste.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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